La liberté de création du photographe et les droits des tiers
A l’instar de la liberté d’informer, la liberté d’expression artistique permet aux photographes de s’affranchir de certaines contraintes. Tout n’est pas permis pour autant.
Si le droit à l’image plie volontiers devant la liberté de création du photographe, les droits d’auteur d’œuvres représentées sur un cliché résistent fortement à toute appropriation photographique non autorisée.
Tour d’horizon de la jurisprudence.
Liberté de création et droit à l’image
Une démarche artistique, s’inscrivant dans le cadre de la liberté de création, permet à l’auteur d’un cliché de s’exonérer de l’autorisation des personnes représentées tant pour capter que pour exploiter la photographie. Selon nous, cette exploitation doit ici correspondre aux exploitations usuelles du domaine de l’art : exposition en galerie, tirages limités …
La liberté de communication des informations autorise la publication d’images de personnes impliquées dans un événement, sous réserve du respect de la dignité de la personne humaine. Il doit en être de même lorsque l’exercice par un individu de son droit à l’image aurait pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou communiquer des idées et opinions qui s’exprime spécialement dans le travail d’un artiste. En matière d’art photographique, la créativité du photographe et la liberté d’expression de cet artiste n’ont ainsi pour limites que le respect de la dignité de la personne représentée ou les conséquences d’une particulière gravité qu’entraînerait la publication des clichés pour la personne (TGI Paris, 25.06.2007, 06/10149).
Le droit de toute personne sur son image consacré par l’article 9 du code civil et l ‘article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, doit être concilié avec le principe de la liberté d’expression qui comprend la liberté de création artistique, ce qui peut conduire à une interprétation plus stricte de l’étendue des droits protégés par l’article 9 du code civil au regard, notamment, de l’accord donné par la personne qui se plaint de l’atteinte à ces droits et de l’absence de caractère indigne, dégradant voire dénigrant de l’œuvre en cause (CA Versailles, 05.10.2021, 19/06845).
S’agissant du caractère dégradant d’un cliché, la Cour d’appel de Paris a pu juger que « la liberté de création ne saurait être opposée aux images précisément visées par la présente procédure, en ce qu’elles sont incontestablement attentatoires à la dignité de X ». La Cour précise que « dénudée ou non, la fixation photographique de l’image sexualisée de façon malsaine, d’une très jeune enfant ou d’une toute jeune fille ne peut qu’être dégradante pour celle-ci, quelle que soit l’intention de l’auteur ou la subjectivité du public auquel elle est destinée » (CA Paris, 27.05.2015, 13/00051).
Liberté de création et droits d’auteur
En revanche, la liberté de création ne justifie pas le plus souvent une atteinte aux droits de propriété intellectuelle des tiers. Telle a été l’opinion de la Cour d’appel de Versailles dans une affaire où un peintre avait utilisé les photographies d’un tiers sans l’autorisation de ce dernier. Pour la Cour, le juste équilibre à rechercher entre la liberté de création et la protection des droits d’auteur ne pouvait conduire à faire prévaloir la première sur la seconde dès lors que l’utilisation de ces photographies n’était pas nécessaire à l’exercice par le peintre de sa liberté de créer (CA Versailles, 16.03.2018, 15/06029).
La reprise, dans une sculpture, des éléments caractéristiques d’une photographie, n’est pas justifiée dès lors que le sculpteur aurait pu utiliser une autre œuvre que cette photographie et qu’il n’a pas essayé d’obtenir l’autorisation du photographe. Ainsi l’utilisation sans autorisation de ce cliché n’était pas nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression artistique, y compris quant à une réflexion d’ordre social (CA Paris, 17.12.2019, 152/2019).
Dans un arrêt du 30 septembre 2022 (20/18194), la Cour d’appel de Paris semble même considérer que la liberté de création n’est pas une exception autonome au monopole des auteurs. Elle juge en effet que « la combinaison de cette liberté fondamentale et des droits exclusifs [des auteurs} conduit à prévoir des exceptions aux droits exclusifs des titulaires de droit d’auteur qui sont limitativement énumérés à l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle ». Le courant « appropriationniste » ne saurait faire fi du principe selon lequel les droits de l’auteur de l’œuvre préexistante doivent être respectés.
En synthèse
- La captation non déloyale de l’image d’une personne et l’exploitation du cliché à des fins « artistiques » (hors exploitation purement commerciale ou publicitaire) sans autorisation de la personne concernée peut se justifier par la liberté de création.
- En revanche, la captation et l’exploitation d’une œuvre protégée par un droit d’auteur requièrent l’autorisation de l’auteur de l’œuvre sauf à pouvoir démontrer que la liberté de création du photographe impliquait nécessairement une reproduction de cette œuvre. Une telle situation ne pourra qu’être exceptionnelle.
- On rappellera toutefois qu’en application de l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, l’autorisation de l’auteur de l’œuvre représentée ne sera pas nécessaire pour :
– Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source, les reproductions, intégrales ou partielles d’œuvres d’art graphiques ou plastiques destinées à figurer dans le catalogue d’une vente judiciaire effectuée en France pour les exemplaires mis à la disposition du public avant la vente dans le seul but de décrire les œuvres d’art mises en vente ;
– La reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d’indiquer clairement le nom de l’auteur ;
– Les reproductions et représentations d’œuvres architecturales et de sculptures, placées en permanence sur la voie publique, réalisées par des personnes physiques, à l’exclusion de tout usage à caractère commercial.
A ces exceptions expressément reprises par le droit français, s’ajoute « l’inclusion fortuite d’une œuvre ou d’un autre objet protégé dans un autre produit » visée par la directive 2001/29. Cependant, la notion d’inclusion fortuite doit s’entendre comme une représentation accessoire et involontaire par rapport au sujet traité ou représenté » (Cass, 12.07.2012, 11-15165 – CA Paris, 27.09.2023, 21/12348). S’il est manifeste que le photographe a volontairement reproduit l’œuvre, l’exception ne sera pas applicable.