Le photojournalisme : état des lieux juridique
Le développement du photojournalisme indépendant
En 2018, seuls 677 photojournalistes étaient titulaires de la carte de presse (source : https://www.radiofrance.fr/franceculture/photoreporters-la-lutte-continue-6522954). Ils n’étaient plus que 306 en 2022 (source https://cfdt-journalistes.fr/2023/09/02/visa-pour-limage-les-revendications-cfdt-pour-la-survie-des-photojournalistes/).
Toutefois, ce recensement repose sur le seul constat de l’octroi d’une carte de presse. Or, la politique de la Commission de la carte d’identité des journalistes (CCIJP) consiste à refuser l’attribution de la carte aux journalistes non-salariés au terme d’une interprétation très contestable des textes applicables.
Selon le rapport de Madame Laurence Franceschini sur le financement de la production et de la diffusion d’œuvres photographiques, « le bouleversement de l’écosystème induit par le numérique semble avoir aussi eu des effets sur le statut des photographes. Evalué en 2018 à plus de 26 000 personnes, leur statut est habituellement classé en cinq catégories par l’INSEE :
- Les photographes-auteurs.
- Les salariés et pigistes d’agences et d’éditeurs ;
- Les autoentrepreneurs ;
- Les artisans ;
- Les agents de l’Etat et des collectivités territoriales ».
Selon ce même rapport, « le statut d’indépendant est extrêmement majoritaire et en progression, 81% en 2018 selon la nomenclature de l’INSEE et en réalité 90 % des photographes interrogés dans le cadre de l’étude 2014 déclarent gérer tout ou partie de leurs revenus et de leurs droits sans passer par un intermédiaire ».
Certes, les catégories retenues par l’INSEE ne permettent pas de déterminer le nombre de photographes exerçant, en tout ou partie, une activité de photojournaliste.
Selon l’étude réalisée par l’ARCOM en juin 2022, la photographie d’information ne représenterait que 10% du marché global de la photographie professionnelle. Si « le nombre de photoreporters en particulier a connu une baisse soutenue, qui s’explique par l’évolution du métier vers celui de « journaliste reporter d’image », ou JRI, qui signe le texte et la photographie », « les agences et éditeurs ont eu de plus en plus recours à des pigistes indépendants et le nombre de photographes salariés à temps plein d’organes de presse a fortement baissé » si bien que « la baisse du nombre de photographes titulaires d’une carte de presse s’accompagne dans le même temps d’une hausse du nombre de photographes auteurs (payés en droits d’auteur et non en salaire). »
Il résulte de ces différents constats que le nombre de photographes exerçant une activité d’information est très certainement bien plus élevé que le nombre de photojournalistes titulaire d’une carte de presse.
Les photojournalistes exercent donc leur activité sous différents statuts : salariés ou indépendants. A ce titre, il est clair que la position de la CCJIP est à contre-courant d’une évolution économique que d’aucuns peuvent regretter, mais qui constitue désormais une réalité à laquelle le droit et les pratiques doivent s’adapter.
La valorisation juridique du travail des photojournalistes repose aujourd’hui essentiellement sur la responsabilité civile pour « parasitisme », l’originalité permettant de revendiquer la protection par le droit d’auteur étant trop souvent refusée par les tribunaux.
I. Le journalisme professionnel salarié
Journaliste professionnel v. correspondant local
Entre le journaliste professionnel stricto sensu, le journaliste assimilé et le correspondant local de presse, les « statuts » visés par le code du travail ne cessent de susciter des interrogations.
C’est le correspondant local qui a eu récemment les « faveurs » de la jurisprudence. Dans une décision du 23 février 2023, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rappelé que « il appartient au correspondant local de presse, sur qui pèse une présomption de non-salariat, de rapporter la preuve » que les deux conditions visées à l’article L.7111-3 du code du travail sont réunies pour pouvoir revendiquer être titulaire d’un contrat de travail de journaliste professionnel. Le correspondant local doit notamment percevoir des rémunérations fixes. Or, en l’espèce, l’intéressé ne justifiait pas avoir perçu une telle rémunération. La qualité de journaliste professionnel lui a donc été refusée (CA Aix-en-Provence, 23 février 2023, 21/18195).
Pour la cour d’appel de Montpellier, « la situation du correspondant est particulière puisqu’il est, en principe, exclu du statut des journalistes et ne bénéficie pas de la présomption légale de salariat » étant toutefois précisé qu’il peut « être réputé journaliste professionnel et bénéficier de la présomption légale de salariat lorsque les conditions posées par l’article L. 7111-3 al 2 du code du travail sont réunies c’est à dire s’il perçoit des rémunérations fixes et répond à la définition du journaliste posée par l’alinéa 1er de ce même article » (CA Montpellier, 10 juillet 2024, 21/03647).
Pour la Cour de cassation, les exigences posées par le texte précité « est justifiée par l’objectif d’exclure du champ de la protection offerte par le statut de journaliste professionnel les correspondants qui n’exercent qu’à titre occasionnel ». Ainsi, la différence de traitement existant entre le correspondant et le journaliste professionnel « est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (Cass. Soc., 15 novembre 2023, 23-14980).
La carte de presse n’est pas une condition d’attribution du statut
La cour d’appel de Rouen rappelle, dans un arrêt du 29 août 2024 (23/01560) que « la qualification de journaliste doit être reconnue à la salariée sur l’ensemble de la relation contractuelle, alors qu’il n’est pas démontré par ailleurs qu’elle a exercé des fonctions différentes de celles correspondant à son statut, peu important qu’elle n’ait pas été titulaire de la carte de journaliste, celle-ci créant une présomption simple de cette qualité sans être une condition nécessaire pour être journaliste au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail ».
La détention de la carte de presse ne constitue en réalité qu’un indice de la qualité de journaliste professionnel. Cette qualité est exclusivement appréciée au regard des critères visés à l’article L.7111-3 du code du travail.
Pigiste
La cour d’appel de Paris avait jugé que le montant des piges versées à l’intéressé ayant varié tous les mois, et que deux à trois mois par an, aucune pige n’ayant été réalisée, cette rémunération à la tâche attestait de l’indépendance dont le journaliste bénéficiait dans l’exercice de ses prestations. Elle lui avait donc refusé le statut de salarié.
De toute évidence, cette décision encourrait la censure, la particularité du pigiste, y compris salarié, étant précisément d’être rémunéré à la tâche. Pour la Cour de cassation, le « caractère variable du montant des piges », est impropre « à caractériser l’indépendance de l’intéressé dans l’exercice de sa profession de journaliste professionnel en sorte que la présomption de salariat qui y était attachée n’était pas renversée » (Cass. Soc., 28 février 2024, 22-17380).
La fourniture de travail est une donnée majeure dans la relation de travail notamment à l’égard des pigistes puisqu’il conditionne l’attribution d’un salaire. En conséquence, le non-respect par l’employeur de cette obligation constitue une faute suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat travail aux torts de ce dernier (CA Versailles, 27 mai 2024, 21/02518).
S’il est de jurisprudence constante, que le journaliste pigiste salarié ne peut pas prétendre à un droit au maintien d’un volume constant de commandes et au maintien de sa rémunération, il est clair que toute absence de commande au même titre qu’une baisse conséquente de commandes constitue une modification substantielle de la relation de travail imputable à l’employeur.
S’il n’est pas interdit aux parties de convenir d’un salaire forfaitaire incluant les congés payés et la prime de 13ème mois, encore faut-il que cette convention soit expresse et que ses modalités n’aboutissent pas pour le salarié à un résultat moins favorable que la stricte application des dispositions légales. La relation de travail n’ayant pas été formalisée par un écrit, les parties n’ont nullement convenu que les montants dus au titre de la prime de 13ème mois et des congés payés seraient inclus dans la pige (CA Paris, 2 mai 2024, 21/00616).
Définition du journaliste professionnel
Dans la mesure où la qualité de journaliste professionnel s’acquiert au regard des ressources que l’intéressé tire principalement de l’exercice de cette profession sans se limiter à celles provenant de l’entreprise de presse à laquelle il collabore, il n’importe qu’il ne tire pas l’essentiel de sa rémunération de sa relation avec la société mise en cause (CA Versailles, 13 juin 2024, 22/801789).
En effet, dès lors que l’activité de journaliste professionnelle suppose que l’intéressé en tire le principal de ses ressources, il va de soi qu’un journaliste pigiste qui a la faculté de travailler concomitamment pour plusieurs entreprises de presse, peut cumuler les rémunérations liées à ses différentes collaborations pour établir vis-à-vis de l’une seule de ces entreprises que ses revenus proviennent majoritairement de son activité journalistique.
Clause de cession
L’article L.7112-5 autorise un journaliste à démissionner tout en percevant son indemnité conventionnelle de licenciement lorsque cette démission est motivée par la cession du journal.
Dans un arrêt du 2 mai 2024, la cour d’appel de Paris rappelle que « l’article L. 7112-5 du code du travail n’imposant aucun délai aux journalistes pour mettre en œuvre la clause de cession, il suffit, pour que les dispositions de cet article puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l’une des circonstances qu’il énumère ». Elle juge par ailleurs que la cession de parts sociales de la société qui possède un journal constitue une cession au sens de cet article lorsque cette cession a pour effet de transférer la gérance de la société à un nouvel associé.
Pour la cour d’appel de La Réunion, le journaliste peut faire jouer la clause de cession dans le délai de droit commun de l’article 2220 du code civil, soit 5 ans à partir de la cession ou, plus précisément, de la date à laquelle il a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d’invoquer la clause de cession. S’il n’a pas connaissance de la cession ce délai ne commence pas à courir d’où l’intérêt d’informer les journalistes (CA La Réunion, 8 février 2024, 22/00588). Ce délai de 5 ans est contestable dès lors que la démission doit être motivée par la cession. Au-delà d’un certain délai, il est à craindre que la cession intervenue ne soit pas la cause réelle de la démission du journaliste. C’est en ce sens que la cour d’appel de Paris a jugé qu’un lien de causalité entre la rupture du contrat et la cession du journal, intervenue trois ans auparavant, doit être établie par le journaliste ce qui n’était pas le cas en l’espèce (CA Paris, 25 janvier 2024, 23/02344).
Pas de cession de droits d’auteur en l’absence d’accord collectif ou individuel
L’article L.132-40 du code de la propriété intellectuelle dispose que toute cession de l’œuvre d’un journaliste en vue de son exploitation hors du titre de presse initial ou d’une famille cohérente de presse est soumise à l’accord exprès et préalable de son auteur exprimé à titre individuel ou dans un accord collectif, sans préjudice, dans ce deuxième cas, de l’exercice de son droit moral par le journaliste. L’article précise que ces exploitations donnent lieu à rémunération sous forme de droits d’auteur, dans des conditions déterminées par l’accord individuel ou collectif.
Pour la cour d’appel de Paris, les conditions posées par cet article ne sont pas réunies dès lors que l’entreprise de presse ne justifie de l’existence d’aucun accord individuel à la cession et qu’elle reconnaît qu’aucun accord collectif n’a été conclu. Aucune cession régulière des droits d’exploitation des œuvres n’est valablement intervenue et aucun droit d’auteur ne pouvait être versé aux journalistes concernés qui étaient restés dans un seul lien salarial à l’égard de l’employeur. Le redressement opéré par l’URSSAF est donc justifié (CA Paris, 22 mars 2024, 20/01337). Pour en savoir plus sur la cession légale des droits d’auteur des journalistes, https://www.photo-ip.com/etudes/la-cession-legale-des-droits-dauteur-des-journalistes/.
II. Le journalisme indépendant frappé d’ostracisme : le refus de la carte de presse
La CCJIP affirme dans sa rubrique « FAQ » qu’un journaliste, travailleur indépendant, ne peut se voir délivrer une carte de presse au motif que le régime « indépendant » « lui confère un statut de non-salarié et le met hors champ des dispositions du code du travail ». Elle en conclut que la situation professionnelle de ces indépendants ne répond pas aux prescriptions de l’article L.7111-3 de ce code.
Pourtant, elle admet, certes avec quelques nuances, qu’un journaliste rémunéré en droits d’auteur puisse se voir attribuer la carte. Or, un journaliste exclusivement payé en droits d’auteur n’a pas la qualité de salarié.
La CCIJP en vient ainsi à refuser, notamment, à des journalistes, réalisateurs de documentaires d’information, le bénéfice de la carte de presse, au motif qu’ils sont rémunérés au cachet ou que percevant des revenus sous forme de droits d’auteur, ils ont un statut de travailleur non salarié les plaçant hors du champ des dispositions du code du travail.
Or, la définition légale du journaliste professionnel ne comporte aucune condition liée au statut salarié du journaliste concerné.
Le salariat : un critère étranger à la définition du journaliste professionnel
L’article L.7111-3 du code du travail définit le journaliste professionnel comme « toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».
En application de l’article L.7112-1 du même code, la qualité de journaliste professionnel permet à l’intéressé de bénéficier d’une présomption de salariat, présomption simple qui peut donc être renversée sans que la qualité de journaliste professionnel soit pour autant contestée.
On voit mal quel intérêt pourrait avoir une telle présomption si le législateur avait intégré dans la définition même du journaliste professionnel une exigence préalable de salariat. Il reviendrait en effet aux journalistes d’établir sa qualité de salarié pour bénéficier de la qualité de journaliste professionnel … laquelle lui permettrait alors de se prévaloir d’une présomption de salariat qui, par hypothèse, n’aurait alors aucun intérêt.
De même, il est de jurisprudence constante qu’un journaliste professionnel pigiste qui ne collabore qu’occasionnellement avec une entreprise n’a pas la qualité de salarié. C’est la fréquence de la collaboration qui fait ici le salariat.
L’article L.7111-3, même s’il figure dans le code du travail, ne restreint nullement la qualité de journaliste professionnel aux seuls journalistes salariés. Il ne fait référence ni au « contrat de travail », ni au « travail » ni aux « salaires ».
Il se borne en effet à faire état d’une « activité principale », laquelle s’exerce « dans une entreprise » ou « une publication quotidienne et périodique » et qui procure à l’intéressé « le principal de ses ressources ». L’article précité ne dit pas : « le principal de ses salaires ».
La notion de « ressources » renvoie manifestement à toutes sortes de revenues : salaires, droits d’auteur, honoraires, prix d’une prestation ….
Par ailleurs, le code du travail n’est pas le seul à définir le journaliste. L’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en donne la définition suivante : « Est considérée comme journaliste au sens du premier alinéa toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d’informations et leur diffusion au public ».
Cette définition est manifestement totalement décorrélée de la notion de salariat.
S’il va de soi que les autres dispositions du code du travail ne sont applicables qu’aux journalistes professionnels salariés – le statut juridique « social » du journaliste professionnel visant à lui assurer une indépendance dans le cadre du lien de subordination inhérent au contrat de travail – il est en revanche incompréhensible que la carte de presse, « outil » facilitant ou permettant l’exercice effectif de la profession, soit réservée aux seuls journalistes salariés.
Une « doctrine » contraire à la liberté d’information
La position « dogmatique » de la CCJIP est en outre contraire à la liberté d’information.
Le Conseil constitutionnel a jugé le 11 octobre 1984 que :
- Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-2 du code du travail auquel l’article 14 fait référence : « Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources » ;
- Considérant qu’il suit de là que les dispositions de l’article 14 n’exigent point que l’équipe rédactionnelle soit composée de journalistes ayant au moment de leur embauche la possession de la carte professionnelle ; que cet article ne confère aucun monopole à quiconque, l’accès à la profession de journaliste étant libre, et exige simplement que l’équipe rédactionnelle soit composée de personnes exerçant réellement les fonctions qui leur sont attribuées ; que ces dispositions ne sont pas contraires à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
L’accès à la profession de journaliste étant libre, elle ne saurait donc être subordonnée à d’autres conditions que celles de l’exercice d’une activité professionnelle de journaliste, une activité étant professionnelle dès lors qu’elle est exercée de façon habituelle par une personne en vue de se procurer les ressources essentielles à son existence.
Un journaliste exclusivement rémunéré en droit d’auteur ou un journaliste non salarié a bien la qualité de journaliste professionnel.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé que :
- Considérant que le pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie ; que la libre communication des pensées et des opinions, garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, ne serait pas effective si le public auquel s’adressent les moyens de communication audiovisuelle n’était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du secteur public que dans celui du secteur privé, de programmes qui garantissent l’expression de tendances de caractères différents dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information ; qu’en définitive, l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs qui sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché.
La Cour européenne des droits de l’homme a également jugé que « la liberté d’expression et d’information, telle que garantie par l’article 10 [de la Convention EDH] constitue l’un des principes essentiels d’une société démocratique ».
La liberté d’informer est ainsi une liberté fondamentale. Elle suppose le libre choix des modalités d’exercice de la profession de journaliste. En outre, cette liberté ne peut s’exercer que si les journalistes professionnels ont effectivement accès aux sources d’information.
Or, si la qualité de journaliste professionnel n’est pas subordonnée à la détention de la carte, ainsi que le juge, de manière constante, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, l’exercice même de la profession est susceptible d’être gravement compromis par l’absence de détention d’une carte d’identité professionnelle.
Cette carte est en effet exigée par certaines administrations pour accéder à des sources d’information (salles de presse, bureaux officiels, évènements sportifs …). Elle s’avère également nécessaire lorsque le photojournaliste exerce son activité à l’étranger.
A ce titre, on regrettera vivement que le Tribunal administratif de Paris ait jugé le 26 avril 2024 que « les dispositions législatives relatives au statut professionnel des journalistes précitées, codifiées dès leur origine dans le code du travail, ont entendu réserver le bénéfice de la carte d’identité des journalistes professionnels aux salariés dont la situation est régie par ce code » pour en conclure qu’une journaliste freelance ne peut bénéficier de la carte d’identité des journalistes professionnels.
Cette décision est d’autant plus contestable que le Conseil d’Etat a jugé qu’un journaliste principalement rémunéré en droit d’auteur tire bien le principal de ses ressources de son activité journalistique (Conseil d’Etat, 6 SS, du 15 novembre 1995, 146784 – voir également Cour d’appel de Paris, Pôle 6, Chambre 8, Arrêt du 15 mai 2019, Répertoire général nº 13/07660 – Cour d’appel de Paris, Pôle 6, Chambre 11, Arrêt du 5 juin 2018, Répertoire général nº 16/13840).
III. Statuts juridiques des photojournalistes indépendants
L’INSEE répertorie trois statuts possibles : les photographes-auteurs, les autoentrepreneurs et les artisans. En réalité, le photojournaliste indépendant dispose, théoriquement, d’une large palette de modes d’exercice soit en nom personnel, soit via une structure juridique autonome.
Le choix est largement tributaire des conséquences sociales et fiscales.
Les incidences sociales et fiscales doivent également s’apprécier au regard des activités que le photographe entend exercer sachant que la situation économique du photojournalisme l’incitera bien souvent à mixer cette activité avec une activité « commerciale » : publicité, communication institutionnelle …
Les activités exercées par le photographe doivent également être conciliables avec la définition du journaliste professionnel dès lors que l’intéressé entend pouvoir se prévaloir de cette qualité. Les journalistes professionnels pigistes cumulent généralement une activité journalistique avec une activité de communication.
a) Journalisme professionnel et autres activités
Une activité journalistique principale
La définition du journaliste professionnel comprend plusieurs critères susceptibles de s’avérer inconciliables avec une activité « commerciale » ou d’auteur.
Pour être journaliste professionnel, le photographe doit consacrer plus de la moitié de son activité au photojournalisme. Cette activité doit être principale : le photojournalisme professionnel ne peut être accessoire à une autre activité. Un médecin qui exerce une activité secondaire de journaliste ne peut avoir la qualité de journaliste professionnel, même si cette activité « secondaire » lui procure la majorité de son revenu.
La question du cumul de la qualité de photographe-auteur et de photojournaliste pourrait à ce titre se poser. Si l’activité artistique est l’activité principale – en termes de temps, de type de collaboration, de promotion de l’activité … – l’artiste photographe pourra se voir refuser la qualité de journaliste professionnel.
Une activité assurant le principal du revenu
La rémunération versée au titre de l’activité journalistique doit constituer la source de revenu principale de l’intéressé. Il importe peu que ce revenu soit faible : « la circonstance d’un revenu médiocre est indifférente à écarter la présomption légale de salariat pesant sur un journaliste pigiste ».
La qualité de journaliste professionnel s’acquiert au regard des ressources que l’intéressé tire principalement de l’exercice de la profession de journaliste au titre de ses collaborations avec des entreprises de presse, publications ou agences de presse.
Pour vérifier si ce critère est bien satisfait, les tribunaux se fondent généralement sur les avis d’imposition : le revenu provenant de l’activité journalistique doit représenter plus de 50% du montant total des revenus perçus par l’intéressé.
Une activité régulière au service d’un support de presse
La régularité de l’activité est le gage de son caractère professionnel. En pratique, cette régularité s’apprécie avec souplesse.
En tout état de cause, une activité n’est journalistique que si elle s’exerce au profit d’entreprises ou d’agences de presse. La jurisprudence reconnait également la qualité de journaliste professionnel à celles et ceux qui exercent une activité journalistique au profit de supports édités par des entreprises étrangères au domaine de la presse et de l’information, sous réserve que ce support ait la qualité de « publication de presse » et qu’il dispose d’une indépendance éditoriale (Cass. Soc., 02.03.2022, 20-13272 – Cass. Soc., 20.01.2021, 19-17390). Une telle indépendance est rarement retenue.
b) Exercice en nom personnel
Le statut d’artiste-auteur
Ce « statut » s’applique aux artistes-auteurs dont les revenus résultent de la création d’œuvres de l’esprit lesquelles relèvent, en principe, du droit d’auteur. Si la protection par le droit d’auteur est subordonnée à la condition d’originalité, on notera que cette condition n’est pas exigée pour pouvoir bénéficier du « statut » : statut et protection de l’œuvre relèvent de régimes juridiques distincts. Cependant, le statut d’artiste-auteur suppose bien une activité « créative ».
Parmi les activités visées par ce « statut » figure notamment la création d’œuvres photographiques.
Grace au mécanisme du précompte – les cotisations sociales sont retenues par le bénéficiaire de la prestation et reversées par ses soins aux organismes concernés -, l’artiste-auteur ne doit déclarer son activité que s’il perçoit des rémunérations ayant la nature de bénéfices non commerciaux.
Dès lors qu’il doit se déclarer, l’artiste-auteur doit procéder à deux déclarations : la déclaration sociale des revenus auprès de l’Urssaf-Limousin et la déclaration fiscale de revenus.
Le statut d’indépendant
Le statut d’auto-entrepreneur est l’une des modalités d’exercice du photographe indépendant. Sous réserve de ne pas dépasser un certain montant de chiffre d’affaires, ce statut offre une simplicité administrative et fiscale.
Un photographe exerce en principe une activité civile et non commerciale. A ce titre, il doit se déclarer auprès du Registre National des Entreprises. Un numéro SIRET lui est attribué. La protection sociale des indépendants relève du régime général de la sécurité sociale.
Sur le plan fiscal, ses revenus sont imposés à l’impôt sur le revenu pour la catégorie de bénéfices correspondant à son activité soit, en principe, les bénéfices non commerciaux.
Indépendant et entrepreneur individuel
Le statut d’indépendant, simple et peu onéreux, présente néanmoins des risques. En effet, le photographe répond de ses dettes professionnelles sur l’ensemble de son patrimoine.
Toutefois, depuis la loi n° 2022-172 du 14 février 2022, le patrimoine de l’entrepreneur individuel est divisé en un patrimoine personnel et un patrimoine professionnel, la clef de répartition entre les deux étant définie par la loi, sans que cette scission ne nécessite aucune démarche de sa part.
L’article L526-1, alinéa 1, du code de commerce prévoit que les droits d’une personne physique immatriculée au registre national des entreprises sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne. Cette dernière peut également déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel (L526-1, alinéa 2).
Cette déclaration est reçue par notaire sous peine de nullité.
a) Exercice via une structure juridique
Le recours à des sociétés unipersonnelles – ne comportant qu’un seul associé – est également possible.
Le choix de recourir à une structure juridique est lié tant à des considérations juridiques que commerciales, sociales et fiscales.
Le recours à une société s’avère nécessaire pour obtenir le statut d’agence de presse. Ce statut permet de bénéficier de certains avantages fiscaux.
IV. La difficile valorisation du travail des photojournalistes
L’originalité des clichés journalistiques : encore des réticences jurisprudentielles
Les tribunaux rechignent encore à reconnaître l’originalité des clichés journalistiques. Ainsi, dans ce jugement du 24 mai 2024 (20/11677), le tribunal judiciaire de Paris, à propos d’un cliché réalisé lors d’affrontements entre les forces de l’ordre et des manifestants, juge que le photojournaliste « n’a eu la maîtrise, ni de la mise en scène, ni de la pose des agents des forces de l’ordre photographiés, pas plus que de l’éclairage, s’agissant d’une photographie prise « sur le vif », capturant un instant furtif de l’évènement, fruit du hasard ». Et de préciser que « si la technique de prise de vue « sur le vif » n’exclut pas en elle-même l’originalité de la photographie, il s’avère qu’en l’occurrence, la photographie litigieuse, malgré le choix de l’angle de la prise de vue, constitue une représentation relativement commune d’une scène de manifestations ».
L’absence de maîtrise du sujet pourrait laisser craindre à un rejet systématique de l’originalité dès lors qu’un photojournaliste a pour mission de rendre compte d’une actualité et non de « composer » un cliché. Telle n’est cependant pas la position de nombreuses juridictions (voir https://www.photo-ip.com/etudes/loriginalite-dune-photographie-au-sens-du-droit-dauteur/#Jurisoriginaliteevenements).
Une indéniable « valeur économique »
Par ailleurs, l’absence d’originalité ne signifie pas, et c’est heureux, qu’un cliché journalistique est librement exploitable.
En effet, la responsabilité civile de droit commun vient ici préserver les photojournalistes et leurs partenaires d’un pillage toujours aussi intense (en savoir plus, https://www.photo-ip.com/etudes/la-protection-par-laction-en-responsabilite-civile/).
Le tribunal judiciaire de Rennes a jugé le 6 mai 2024 que « même en l’absence de protection par le droit d’auteur, l’utilisation d’une photographie sans rémunération de son auteur peut causer » au photographe un manque à gagner, constitutif d’un dommage au sens de l’article 1240 du code civil. Le photographe professionnel peut réclamer comme n’importe quel acteur économique une rémunération de son travail (TJ Rennes, 6 mai 2024, 22/01433).
Dans un jugement du 27 juin 2024 (22/0990), le tribunal judiciaire de Paris juge que l’utilisation non autorisée d’un cliché journalistique engage la responsabilité civile de l’utilisateur non autorisé. En reproduisant le cliché sur son site internet, sans bourse délier, l’utilisateur a profité des investissements de l’agence de presse et à adopter un comportement fautif parasitaire.
De même, le tribunal judiciaire de Nanterre juge que l’utilisateur de plusieurs clichés réalisés par des photojournalistes constitue un comportement fautif, l’utilisateur indélicat tirant profit, sans bourse délier, des investissements humains et financiers nécessaires à la réalisation desdits clichés (TJ Nanterre, 30 novembre 2023, 22/02020).
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